Ces dernières semaines ont vu se succéder des attaques contre les 35 heures (Pierre Gattaz, président du MEDEF, le 24 septembre 2014), puis contre les RTT (Frédéric Valletoux, président de la FHF, représentant les hôpitaux publics, le 18 septembre 2014). Dans le même temps, certaines directions hospitalières tentent de réduire par des accords locaux les droits des salariés aux 35 h ou aux RTT (cf conflit de l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif), tout en essayant de généraliser le passage des équipes soignantes aux 12 heures journalières.
Les 35 heures hebdomadaires sont-elles la source des désorganisations des hôpitaux publics ?
Certainement pas !
La mise en place de la semaine de 35 heures (en 2000), et de 32h30 pour les équipes de nuit (en 2004), aurait mathématiquement dû générer en compensation 10% d’emplois supplémentaires, soit environ 80.000 emplois dans le secteur public hospitalier ; les contraintes d’organisation en équipes, et la volonté clairement afficher de limiter le nombre de créations d’emplois, ont conduit à compenser une part de cette réduction du temps de travail par des jours de repos supplémentaires, les RTT ; le nombre total de créations d’emplois liés aux 35h n’a pas dépassé 32.000 ; parmi elles, on est très loin des 5000 créations de postes de praticiens hospitaliers espérées, qui se sont souvent soldées par des postes de statut précaire.
Conséquences ? Une organisation du travail à flux tendu permanent, un déficit de personnel, une planification difficile, qui se retrouve jusque dans l’impossibilité de bénéficier des RTT, et la création des Comptes Epargne Temps (CET) en 2002 pour les thésauriser. Cette accumulation devenant une véritable bombe à retardement pour les hôpitaux.
Au bout du compte, (comme le note par ailleurs cette fois-ci justement la FHF), la mise en place des 35h ne s’est pas soldée par une baisse de la pénibilité, ni de l’absentéisme.
En outre, en imposant des solutions transitoires aux déficits chroniques d’effectifs, comme le recours à l’intérim (67 M€ en 2011), elle grève lourdement les finances hospitalières.
Ce n’est donc pas la mise en place des 35 heures qui est la source des problèmes d’organisation du travail et d’effectifs dans les hôpitaux, mais bien l’inverse : le manque d’effectifs fait de toute mesure d’amélioration des conditions de travail une source de désorganisation !
Pourquoi les médecins bénéficient-ils de jours de RTT ?
L’épineuse question du temps de travail des médecins hospitaliers résulte d’un flou soigneusement entretenu dans sa définition.
Le statut de praticien hospitalier, par exemple, impose un temps de travail hebdomadaire de 10 demi-journées, sans précision sur la durée de la demi-journée ; par ailleurs, la réglementation européenne, avec laquelle la France a dû récemment se mettre en conformité (avec une grande inertie), limite à un maximum de 48 heures ce temps de travail hebdomadaire ; le temps effectué au-delà de ces 48 heures (temps additionnel) doit faire l’objet d’un contrat (il ne peut donc pas être imposé unilatéralement), être rémunéré et récupéré. Enfin, la même réglementation (arrêté du 8 novembre 2013 et ordonnance du 31 mars 2014) impose un repos journalier de 11 heures minimum, sans dérogation possible, y compris après une astreinte opérationnelle, y compris après un travail hors obligations de service. Il s’agit ici de textes qui, même s’ils ont une incidence négative sur l’organisation des services, ont un rôle protecteur de la santé du praticien. Il s’agit en fait d’une simple application du droit commun du travail, auquel aucune profession n’a de raison d’échapper.
Certaines directions hospitalières en ont déduit que le temps de travail habituel des médecins devait être de 48 h hebdomadaires : plusieurs jugements ont largement combattu cette interprétation fallacieuse.
La mise en place des 35 heures dans les hôpitaux a permis aux médecins de bénéficier eux aussi de jours de RTT ; ce nombre de jours, une vingtaine en général par an, correspond très exactement au différentiel entre 35h théoriques et 39h travaillées, comme pour les autres personnels (4 heures par semaine pour 40 semaines travaillées par an en moyenne). Ce calcul semble indiquer que les médecins hospitaliers sont eux aussi au régime des 35 heures hebdomadaires.
Or, dans la pratique, le temps de travail d’un médecin est très largement supérieur, et il est difficile d’imaginer limiter arbitrairement ce temps de travail, quel que soit le service. Par contre, ces contraintes spécifiques doivent, pour respecter la réglementation, et bien entendu à visée de protection de la santé physique et mentale du praticien, faire l’objet de compensations.
Comment compenser les contraintes sur le temps de travail ?
Les jours de RTT, comme la récupération du temps additionnel ou du temps d’astreinte, font partie des mesures de compensations. Dans les deux cas, il s’agit de mesures palliatives, dont l’effet est relativement illusoire si le praticien ne peut pas en bénéficier concrètement, et doit les verser sur un CET.
Le problème de fond est donc celui des effectifs, comme pour les personnels non-médicaux.
L’utilisation actuelle par les directions des hôpitaux, des effectifs comme variable d’ajustement budgétaire, ne peut conduire, pour les médecins comme pour les autres personnels, qu’à une dégradation des conditions de vie au travail, et partant, des risques psychosociaux.
Dans la plupart des services, le temps de travail hebdomadaire des médecins est une conséquence directe de l’organisation et de la répartition de la charge de travail entre les praticiens. Celle-ci doit donc faire l’objet d’une négociation où sont impliqués tous les praticiens du service, en fonction des impératifs de service, mais aussi des souhaits des praticiens en termes de formation, d’enseignement, de recherche, etc. Le tableau de service doit être le reflet de l’accord entre praticiens.
Dans les services en continu ou à gardes (urgences, réa, chirurgie, etc.), le rythme de travail induit une pénibilité spécifique. Il est donc légitime de compenser cette pénibilité pour prévenir les conséquences sur la santé, soit en réduisant la durée hebdomadaire de travail (limitation de la pénibilité), soit en bonifiant les cotisations retraite afin de permettre un départ anticipé (compensation de la pénibilité), soit encore en alternant les périodes avec et sans pénibilité au cours de la carrière (par exemple par des valences d’enseignement ou de recherche).
En résumé : bonne organisation du travail et prévention des risques pour la santé, imposent des effectifs en nombre suffisant !
LES REVENDICATIONS DE LA CGT
Le temps de travail des médecins doit être défini clairement
- Il doit être mesurable pour avoir une image des besoins réels en effectifs médicaux, avec une durée maximale pour la demi-journée (4h) et la journée (8h), et pour les services en continu une division des 24 heures en 5 périodes (= 3 demi-journées pour la garde de semaine).
- Il doit être valorisé quelle que soit l’activité qu’il recouvre (clinique ou non clinique).
Pour cela, nous proposons
- Tous les médecins hospitaliers doivent bénéficier de tableaux de service, et d’un relevé d’activité de rythme quadrimestriel. Une planification théorique hebdomadaire doit être réalisée ; la répartition de la charge de travail du service doit résulter d’un accord entre les praticiens.
- Le CHSCT doit être chargé du suivi de l’application de la réglementation du travail pour les médecins.
Un certain nombre de règles de base doivent être impérativement respectées
- Tout travail doit être rémunéré. Les astreintes doivent être incluses dans le temps de travail, donc dans les obligations de service, de même que l’activité réalisée le week-end sur les postes non à garde.
- Le temps de travail statutaire des médecins hospitaliers est de 39 heures par semaine, les heures effectuées entre 39h et 48h (lissées sur un quadrimestre) doivent être compensées ou rémunérées comme heures supplémentaires, comme le prévoit le Code du Travail.
- Selon les besoins de leur unité, les praticiens peuvent être amenés à choisir une organisation en heures ou en demi-journées, mais ces dernières doivent faire l’objet d’une définition claire et bornée, respectant la définition précédente.
- Le temps de travail maximal hebdomadaire est de 48 heures, lissées sur un quadrimestre. Dans ces conditions, le temps additionnel, qui n’est que l’expression d’un déficit d’effectifs médicaux ou d’une organisation déficiente, n’a plus de raison d’être, et il doit faire l’objet de mesures dissuasives, voire de sanctions envers la structure hospitalière. La constatation d’un excédent de temps de travail, sur les relevés d’activité, doit conduire à un ajustement des effectifs.
Les postes à pénibilité spécifique (postes à travail continu, ou soumis à des risques particuliers) doivent donner lieu à une bonification pour la retraite
- Validation d’un trimestre supplémentaire pour 100 gardes ou 200 astreintes.
- Doublement des points de retraite complémentaire Ircantec sur les indemnités de sujétion.
article paru dans info médecins n°14 (novembre 2014), disponibleiciavec les dessins de Faujour