Relation de travail dans le secteur privé : La preuve illicite ou déloyale et le respect de la vie privée du salarié

12 mars 2025

Des employeurs utilisent des preuves, parfois illicites ou déloyales, au mépris de la vie privée des salariés pour tenter de les sanctionner ou les licencier. Il est important de faire un rappel sur les conditions requises sur ce sujet.

Un Flash Info LDAJ est disponible en pièce-jointe dans cet article.

C’est quoi une preuve illicite ? Une preuve déloyale ? La vie privée du salarié ?

La preuve illicite désigne celle dont la production porte atteinte à un droit subjectif de l’adversaire (vie privée, protection des données personnelles…) ou à un intérêt juridiquement protégé.

La preuve déloyale n’est pas forcément illicite, elle ne vise que les conditions critiquables dans lesquelles elle a été obtenue (enregistrement clandestin, recours à un stratagème).
C’est la preuve obtenue à l’insu de la personne à qui on l’oppose. Par conséquent, à partir du moment où la personne concernée est informée (ou ne peut pas ignorer) qu’un procédé permettant de recueillir des preuves à son encontre est mis en place, la preuve cesse d’être déloyale. Elle peut néanmoins, demeurer illicite si elle porte par exemple atteinte à la vie privée notamment au titre de la protection des données personnelles.

La vie privée du salarié est consacrée par l’article 8 de la CEDH, l’article 9 du Code civil et l’article L.1121-1 du Code du travail selon lesquels sur son lieu de travail, le salarié a droit au respect de l’intimité de sa vie privée. Il ne peut y être apporté de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Les conditions de recevabilité de la preuve déloyale et/ou illicite en justice ont été posées par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation le 22 décembre 2023 (n°20-20.648) qui a jugé que « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats (…) le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but recherché » .

Les applications jurisprudentielles récentes conduisent pour les salariés à : Du positif…

a) En matière de harcèlement moral :

La cour de cassation a admis que la salariée, pour prouver le harcèlement moral subi, produise un enregistrement réalisé à l’insu de son employeur lors d’un entretien au cours duquel, il avait exercé des pressions et l’avait menacée de licenciement afin qu’elle signe une rupture conventionnelle. La Cour valide la production de cette preuve, pourtant déloyale, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, considérant que la production de cet enregistrement était proportionnée au but poursuivi à savoir étayer des faits de harcèlement moral. Il est important de noter que la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel qui avait pour sa part exigé une condition supplémentaire à savoir que ce procédé de preuve soit « indispensable et proportionné au but recherché ». La Cour de cassation ne retient que la condition de proportionnalité au but recherché. (CASS SOC, 10 JUILLET 2024 n°23-14.900)

b) En matière de licenciement en lien avec la vie privée :

Un employeur avait licencié un salarié pour faute grave en raison de propos échangés lors d’une conversation privée avec 3 personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel dans un cadre strictement privé sans rapport avec l’activité professionnelle. Ce licenciement basé sur une violation d’une liberté fondamentale du salarié est nul. La Cour de cassation a invalidé le licenciement en s’appuyant sur l’article 9 du Code civil, l’article L. 1121-1 du CT et l’article 8 de la CEDH qui prévoient que la vie privée du salarié au travail implique notamment le secret des correspondances.(CASS SOC, 25 SEPTEMBRE 2024 n°23-11.860)

Et parfois du très négatif… justifiant désormais une grande vigilance dans les relations de travail

a) Dans le cadre de la confrontation vie privée et droit à la preuve :

Le licenciement pour faute grave d’une salariée qui a copié des fichiers sur 5 clés USB personnelles, non connectées à l’ordinateur professionnel et consultées par l’employeur sans sa présence a été jugé recevable par la Cour de cassation.

En principe, seules les clés USB connectées à l’ordinateur professionnel et dont les fichiers ne sont pas estampillés « personnels » sont présumées professionnelles et peuvent être consultés par l’employeur.

Dans ce litige, l’employeur a consulté les clés USB qui révélaient que la salariée avait copié des procédés de fabrication de l’entreprise alors même que dans le cadre de ses fonctions d’assistante commerciale, elle n’avait pas accès à ces données.

La Cour précise que « l’accès par l’employeur hors la présence du salarié, aux fichiers contenus dans des clés USB personnelles qui ne sont pas connectées à l’ordinateur professionnel constitue une atteinte à la vie privée du salarié.  ». Toutefois, cette preuve illicite a été retenue comme recevable pour établir la réalité des faits invoqués à l’appui du licenciement.

Trois éléments ont été retenus à l’appui du contrôle de proportionnalité : -

  • premièrement, il existait des raisons concrètes justifiant le contrôle des clés USB, tenant au comportement de la salariée (témoignages de collègues l’ayant vu faire de nombreuses impressions qu’elle cachait)
  • deuxièmement, l’employeur indiquait avoir agi dans le seul but de préserver la confidentialité de ses affaires, et
  • troisièmement, l’employeur n’avait copié sur les clés USB en question que les fichiers se rapportant à son activité et avait opéré un tri en ne faisant aucune copie des autres fichiers contenus sur les clés (NB l’employeur avait fait appel à un expert informatique en présence d’un huissier de justice pour procéder aux copies). (CASS SOC, 25 SEPTEMBRE 2024 n°23-13.992)

b) Dans le cadre de la confrontation vie privée du salarié et sanction du licenciement :

Dans le cas du licenciement pour faute grave d’un chauffeur RATP trouvé porteur après son service d’un sachet de stupéfiants dans son véhicule personnel à l’occasion d’un contrôle de police et soumis à un test salivaire positif, la Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt de la cour d’appel qui avait jugé que ce licenciement était nul car portant atteinte au respect de la vie privée.

La cour de cassation conçoit que le licenciement est injustifié car fondé sur des motifs personnels, mais qu’il ne peut être annulé au motif d’une atteinte à la vie privée jugeant qu’il n’y a pas eu une atteinte à une liberté fondamentale.

Ainsi, l’enseignement de cette décision est que pour qu’un licenciement soit annulé au motif d’une atteinte à la vie privée il faut donc qu’il y ait une atteinte à une liberté fondamentale.

Ainsi, la Cour de cassation restreint pour la première fois la protection de la vie privée des salariés et toute atteinte à la vie privée ne justifie pas pour autant une nullité du licenciement.

Il convient de préciser qu’en cas de nullité de licenciement, aucun barème d’indemnisation maximal ne peut être opposé au salarié à l’inverse du licenciement injustifié ou sans cause réelle et sérieuse qui est indemnisé selon le tableau de l’article L. 1235-3 du Code du Travail. (CASS SOC, 25 SEPTEMBRE 2024 n°22-20.672)

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