1) Faut-il revoir l’organisation du temps de travail à l’APHP
?
L’organisation actuelle du travail est jugée par la direction de l’APHP
désuète, inadaptée aux besoins actuels de l’hôpital, et génératrice de difficultés
pour les services. C’est un constat largement partagé par les patients comme par les soignants. La Direction Générale promet, en contrepartie d’une augmentation du nombre de jours travaillés, une amélioration des conditions de travail, un début de résorption de la précarité statutaire, une valorisation du statut de cadre.
Elle se lance même, et on attendait mieux d’un Directeur qui a commencé sa
mandature en affirmant que l’hôpital ne serait plus une entreprise, dans un
chantage à l’emploi, échangeant le renoncement à des jours de RTT contre une
réduction du nombre de suppressions d’emplois prévues ces prochaines années !
Premier point litigieux : proposer, comme le fait la direction générale, de
travailler plus, sans gagner plus, est, d’emblée, vécu comme une provocation
dans un climat social déjà largement dégradé par des années de politique
d’austérité à l’hôpital public... Par ailleurs, et les médias s’en sont largement
fait l’écho, le projet de l’APHP est lu comme un test national pour le système
hospitalier français.
2) L’organisation du travail et le fonctionnement des services sont
insatisfaisants pour tous, patients comme soignants. Mais où sont
les responsabilités dans les carences actuelles ?
Tout d’abord, les modalités de mise en place des 35h en 2002 : sans embauches en conséquence, il était inévitable que les 35h se soldent mécaniquement par d’une part une accumulation de RTT, d’autre part par des difficultés de fonctionnement des services, une politique de gestion des effectifs à flux tendu, un appel à des modalités de suppléance et d’intérim, et un recours aux heures supplémentaires. Conséquences : dégradation des conditions de travail, instabilité des plannings, diminution du temps thérapeutique, perte de la notion d’équipe, et coûts supplémentaires.
Par ailleurs, les conditions de travail et la prise en charge des patients ont
été autant dégradées par d’autres facteurs : le financement par la T2A et ses
dérives, la course à la productivité et les réductions d’effectifs imposées par les
politiques d’austérité successives, la mise en place des pôles comme organes
de gestion déconnectés de la clinique, l’informatisation et ses difficultés, les
réorganisations ou fusions de services, mal gérées et traumatiques, etc…
Dans ce contexte, les jours de RTT sont devenus pour le personnel des hôpitaux le seul moyen de récupérer, la seule contrepartie à cette dégradation de la qualité de vie.
Et le malaise des cadres hospitaliers s’explique facilement par l’exercice d’équilibrisme entre les injonctions contradictoires que représentent le souci de qualité des soins et la gestion impossible de plannings et de moyens en réduction constante.
3) Les médecins sont-ils concernés par ce conflit ?
Oui, doublement. D’abord parce qu’ils sont partie prenante du fonctionnement des services, et ne peuvent rester indifférents à la dégradation constante des conditions de prise en charge des patients, et des conditions de travail des soignants, qui ne peuvent que s’accentuer si ce projet est mis en place.
Ensuite parce que sont en cours des négociations sur le calcul du temps de travail des médecins (exigées par les instances européennes au titre du droit du travail, comme toutes les catégories professionnelles) et la reconnaissance de leurs divers temps d’activités, et que les problématiques sont similaires et recevront sans doute les mêmes réponses : les directions successives demandent une réduction des effectifs de praticiens tous les ans (5 M€ en 2015 et les années suivantes, soit environ 45 postes de PH à l’APHP chaque année), et la tentation de réduire les jours de RTT ou de repos des praticiens sera grande.
4) Peut-on financer autrement les moyens nécessaires au fonctionnement des hôpitaux publics ?
Certainement. L’argent existe : les cotisations sociales non recouvrées représentent 70 Mds € par an, les fraudes aux cotisations des entreprises 50 Mds € par an. Le système de santé lui-même est producteur de richesses, par ses actions de prévention, de santé publique, pourvu qu’on lui en donne
les moyens d’investissement.
Or, les choix qui sont faits vont toujours dans le sens d’une limitation des capacités (progression annuelle de l’Ondam hospitalier limitée à 2 %) ou d’une réduction des moyens mis à disposition du système de santé (l’efficience attendue pour l’APHP en 2015 est de 150 M€), dont le principal levier
est la réduction de la masse salariale. La productivité des hôpitaux n’a cessé d’augmenter (environ 2 % par an depuis 2003), sans que cela ne génère aucune contrepartie positive ni pour les personnels, ni pour les patients.
L’alternative est donc entre : financer le développement de l’hôpital public pour répondre aux besoins, versus continuer une politique d’austérité qui, loin de les faire parvenir à un état durable d’équilibre financier, obère gravement les capacités des hôpitaux publics et les affaiblit face aux intérêts non-publics.
Accepter, une fois de plus, que les personnels soient la variable d’ajustement financier de la politique hospitalière, que les conditions de travail soient la cible des recherches d’efficience, c’est accepter la logique de l’affaiblissement continu du système public de santé, au détriment d’intérêts privés.
Nous soutenons donc cette lutte du personnel de l’AP-HP contre le projet Hirsch de réorganisation du temps de travail.
Le Collectif Médecins de la Fédération CGT de la Santé.
Montreuil, le 4 juin 2015