ANNUALISATION DU TEMPS DE TRAVAIL ET FORFAITS JOURS
Les hôpitaux privés comme les publics soumettent leurs personnels à une augmentation constante de leur activité et à des réorganisations successives sans recrutement de personnel supplémentaire.
La souffrance au travail concerne aussi les cadres et les médecins à qui on demande de “ne pas compter les heures” .
Après la dénonciation de la CCN 51 et l’accord de Marisol Touraine donné à l’application des recommandations patronales très défavorables de la FEHAP, certaines directions d’hôpitaux sont tentées de proposer des accords locaux revenant sur des avantages de la CCN51 sous menace d’application de ces recommandations patronales.
Un tel accord, révisant profondément l’organisation du temps de travail et plus particulièrement celle des cadres et des médecins via les forfaits jours a été signé en novembre 2013 par FO, la CGC et la CFTC dans un ESPIC parisien.
CE QUE DIT LA LOI FRANÇAISE
La loi du 12/03/99 relative à l’aménagement et à la réduction du temps de travail (Loi Aubry) autorise l’annualisation du temps de travail.
La loi du 21/08/2008 permet qu’un accord soit validé dès lors qu’il a été signé par des organisations syndicales représentant au moins 30% des suffrages. Son deuxième titre porte sur la réforme du temps de travail : il autorise le passage en forfait jours pour les salariés “disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur temps de travail” en ne soumettant pas les salariés concernés
à une durée maximale de travail quotidienne de 10h, hebdomadaire de 48h, et 44h/semaine sur 4 semaines consécutives
aux dispositions réglementaires relatives aux heures supplémentaires
Le passage en forfait jours doit faire l’objet d’un avenant individuel au contrat de travail. Le salarié peut le refuser sans être sanctionné
L’avenant doit préciser le nombre de jours de travail annuel (au maximum 235 jours de travail)
EFFETS :
Le passage en temps annualisé et en forfaits jours permet à l’employeur de sortir les cadres (médecins compris) des 35h sans augmenter leur salaire, d’augmenter leur flexibilité (planning théorique annuel visé par la direction, revu trimestriellement, avec ajustement des effectifs à l’activité en respectant un préavis de 7 à 3 jours), et de ne plus rémunérer les heures supplémentaires.
JURISPRUDENCE
nationale :
plusieurs arrêts de la Cour de Cassation ont sanctionné des conventions collectives (chimie, habillement, Syntec) dont les forfaits jours ne définissaient ni les durées maximales de travail, ni les repos, et ne prévoyaient pas d’entretien annuel pour évaluer l’activité.
les prud’hommes ont sanctionné des employeurs pour non paiement d’heures supplémentaires à des salariés en forfaits jours
supranationale :
La directive 2003/88 de la communauté européenne stipule que la durée moyenne de travail hebdomadaire n’excède pas 48 heures, y compris les heures supplémentaires, pour une période de référence ne dépassant pas 4 mois.
La Commission européenne a par conséquent décidé en novembre 2013 de traduire l’Irlande et la Grèce devant la Cour de Justice Européenne pour non respect des règles de l’UE en matière de limitation du temps de travail des médecins exerçant dans les services publics de santé. Elle a aussi rendu un avis enjoignant la France de respecter cette même limitation.
CE QUE DEMANDE LA CGT
Afin de garantir une bonne articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, y compris pour les temps partiels
Définition de la durée maximale d’une demi journée : 4h et d’une journée : 8h (calculées d’après les 39h hebdomadaires)
Planification théorique hebdomadaire afin de pouvoir établir une stabilité dans l’alternance jours travaillés/jours non travaillés, en particulier pour les temps partiels.
Mesure précise du temps de travail effectué
Garde de semaine (14h) incluse dans le forfait : 3 demi journées de travail de la planification
Valorisation financière ou en jours de la planification du travail de dimanche. Par exemple visite (hors garde ou astreinte) de dimanche matin : 1 journée de travail de la planification.
Mention sur le planning de toutes les activités au delà des 8h/jour : réunions multidisciplinaires après 18h, enseignement et autres activités universitaires, activités syndicales (CE, CHSCT), CME, etc.
Définition stricte des modalités d’évaluation annuelle individuelle et collective de l’effet de l’application de l’accord (en particulier, outils de mesure du temps de travail).
CONCLUSION
Dans les hôpitaux privés comme dans les hôpitaux publics, la rentabilité est devenue prioritaire sur le service rendu à la population. L’augmentation de la charge de travail des cadres et des médecins, censés disposer d’une autonomie dans leur organisation du temps de travail y est continue depuis des années : elle permet d’éviter le recrutement de personnel supplémentaire.
Les forfaits jours ont été appliqués abusivement dans certaines entreprises commerciales, comme la jurisprudence le prouve.
Jusqu’à maintenant, aucun Etablissement de Soins Privé sans Intérêt Commercial n’avait tenté de les appliquer. C’est aujourd’hui fait, certaines directions souhaitant importer les méthodes utilisées dans l’industrie.
Mais peut on parler d’autonomie dans l’organisation du temps de travail des cadres et des médecins des ESPIC sachant que cette supposée autonomie est mise constamment en tension avec l’obligation d’assurer la continuité des soins ??
Valérie CHIGOT, Groupe Hospitalier Privé Saint Joseph, Paris