Alors que le candidat Hollande avait annoncé l’abrogation de la loi Hôpital-Patients-Santé-Territoire (HPST), le projet de loi de santé non seulement ne modifie pas la logique de celle-ci mais en aggrave certains de ses effets les plus néfastes, comme le pouvoir sans partage des directeurs généraux des ARS.
Par ailleurs alors que cette loi est annoncée comme structurante, non seulement elle ne traite pas des principales difficultés de notre système de santé mais elle mélange des modalités d’organisation pour les hôpitaux publics avec des mesures de santé publique ponctuelles qui ne relèvent pas du même niveau.
D’autre part la mesure phare que représente la généralisation du tiers payant d’ici 2017 n’est qu’une mesure imparfaite face aux restes à charge qui s’accumulent. De plus, cette mesure ne sera complète que dans le cadre de la majorité issue des élections générales de 2017 ce qui fragilise encore l’annonce.
Regardons quelques éléments du contenu...
L’article 1 donne les grandes lignes de la conception de la politique de santé. Une première interrogation à lire que la politique de santé comprend « la prise en charge collective des conséquences financières et sociales de la maladie par le système de protection sociale » : pourquoi « collectif » et pas « solidaire » et pourquoi préciser la maladie, pas la maternité, le handicap...
« L’organisation du système de santé et sa capacité à répondre aux besoins de prévention et de prise en charge des maladies et handicaps » devient « L’organisation de parcours de santé coordonnés assurant l’accessibilité, la qualité la sécurité des services et produits de santé, ainsi que l’efficience de leur utilisation en ambulatoire et en établissement, pour la population sur l’ensemble du territoire. »
Le titre I concerne la prévention.
Dans le chapitre « jeunes », il y a un vrai risque de « régionalisation » de la santé avec perte de l’égalité au plan national.
L’article 3 concerne la contraception d’urgence : elle ouvre à la prescription par des infirmières (c’est sans doute bien en pratique mais le débat est lancé sur les transferts de taches, et pas forcément de la meilleure manière, puisque c’est pour faire face à la pénurie !).
L’article 4 concerne la prévention de l’alcoolisme.
L’article 5 concerne l’éducation nutritionnelle : il est d’une indigence notoire se contentant de proposer l’ajout de graphiques aux chiffres de composition nutritionnelle des aliments. Aucun moyens de contraintes en direction des groupes de l’agro-alimentaire.
Le chapitre 2 a pour but de « soutenir et valoriser les initiatives des acteurs pour faciliter l’accès de chacun à la prévention et à la promotion de la santé »
L’article 6 concerne les tests rapides diagnostiques des maladies transmissibles (SIDA) et les autotests : cela est discuté par les professionnels.
Les articles 7 et 8 concernent les toxicomanies avec l’expérimentation des salles de consommation supervisées.
Le chapitre 3 concerne les risques sanitaires liés à l’environnement. Ce chapitre est d’une indigence notable, puisqu’il se résume à l’amiante (article 10). L’article 9 n’étant que du vocabulaire.
Le titre II concerne les parcours de santé.
Le chapitre 1 porte sur la création d’un service territorial de santé au public : il ne s’agit plus de service public mais d’un service au public (cela a au moins l’avantage de ne pas être dans l’usurpation de vocabulaire). Il se résume à mieux coordonner, mieux informer les professionnels de l’existant et demander aux ARS d’être en soutien. Des questions se posent : quels sont les territoires ? Ceux des conférences de territoire (parfois une région entière) ou ceux des contrats locaux de santé, en général les territoires de premier recours ?
Le chapitre 2 concerne l’accès aux soins de premier recours.
L’article 14 concerne le numéro d’appel pour l’urgence avec des enjeux dans certaines zones pour SOS médecins !
L’article 15 concerne les conventions entre la sécurité sociale et les médecins.
L’article 16 concerne le financement des centres de santé.
Le chapitre 3 a pour but de lever les barrières financières à l’accès aux soins.
L’article 17 concerne le tiers payant,
l’article 18 institue des mesures contre les discriminations (si le tiers payant existe pour tous, les médecins auront moins de raison de ne plus vouloir prendre en charge de patients bénéficiant de la CMU !).
L’article 19 concerne l’aide à la complémentaire santé.
Le chapitre 4 concerne l’information et l’accompagnement des usagers.
L’article 20 crée un service public d’information des usagers. Son organisation pratique est renvoyée à un décret.
L’article 21 ouvre expérimentation à l’accompagnement des maladies chroniques : rien ne garantit le caractère public des porteurs de projets !
L’article 22 vise à culpabiliser les malades : ils sauront en sortant de l’hôpital combien ils ont « coûté » à la sécu !
Le chapitre 5 vise à donner des outils aux professionnels pour assurer la coordination des soins, avec un article 23 indiquant que les malades doivent sortir de l’hôpital avec un courrier de liaison et un article 24 sur les conditions du partage du secret médical.mais surtout sur ce serpent de mer qu’est le DMP.
Le chapitre 6 a pour but d’ancrer l’hôpital dans son territoire.
L’article 25 ne remet en rien en cause le mélange public privé de la loi HPST, puisqu’il redéfinit les missions de l’hôpital public, tout en indiquant que les établissements privés peuvent assurer ces missions ! On se gargarise de mots, puisque les hôpitaux doivent prendre en charge les patients dans des délais raisonnables en lien avec leur état de santé et les hôpitaux participent au service territorial de santé !
L’article 26 transforme les communautés hospitalières de territoire en groupement hospitalier de territoire, sans plus de garantie sur le contrôle démocratique, avec une ouverture vers le privé et renvoyant l’ensemble de l’application de ce chapitre à des décrets.
Le titre III veut innover pour garantir la pérennité de notre système de santé.
Le chapitre 1 vise à l’innovation sur la formation des professionnels mais ne me paraît que des aménagements de détails ! L’article 27 concerne le DPC et l’article 28 la formation des infirmières.
Le chapitre 2 concerne la préparation des métiers de demain. L’article 29 concerne les « pratiques avancées » et renvoie la question à des décrets. L’article 30 autorise la pratique des IVG médicamenteuses aux sage femmes.
L’article 31 autorise les pharmaciens à pratiquer des vaccinations. L’article 32 autorise les infirmières à prescrire des dérivés nicotiniques.
L’article 33 tente de remédier à l’utilisation de médecins intérimaires, mais sans s’attaquer aux causes, le manque de professionnels, les salaires du privé !
Le chapitre 3 concerne le médicament : l’article 34 remue du vent et l’article 35 s’attaque aux pénuries des médicaments essentiels, sans s’attaquer aux causes, le peu d’intérêt des labos pharmaceutiques pour les médicaments qui ne leur permettent pas de profits suffisants.
L’article 36 concerne la recherche et me paraît très technique.
Le titre IV concerne le renforcement de l’efficacité des politiques de santé et la démocratie sanitaire.
Le chapitre 1 concerne le renforcement du rôle des agences
L’article 37 réécrit toute la partie du code de la santé publique consacrée à la planification régionale ; il y a des changements de vocabulaire ; les conseils territoriaux de santé remplacent les conférences de territoire, le projet régional de santé doit être en cohérence avec la stratégie nationale de santé … mais entre les décrets qui doivent préciser et les décisions des directeurs d’ARS il est bien difficile de comprendre en quoi cet article est susceptible d’amener des améliorations. Il y a quelques perles de changement pour le changement comme la transformation des plans blancs élargis en plan départemental de mobilisation.
L’article 38 concerne les vigilances sanitaires.
Le chapitre 2 concerne les relations entre l’état et l’assurance maladie.
L’article 39 concerne la gestion du risque et l’article 40 concerne les négociations entre les professionnels et les caisses ; les centres de santé sont concernés.
Le chapitre 3 vise à réformer le système d’agences sanitaires et l’article 41 a pour but d’autoriser le gouvernement à réformer par voie d’ordonnance sur des sujets aussi sensibles que l’EFS.
Le chapitre 4 vise à renforcer les droits des usagers avec des mesurettes comme l’article 43 créant une commission des usagers dans les établissements de santé, sans rôle décisionnel – le rôle des conseils de surveillance des hôpitaux, lui, n’est pas renforcé.
L’article 44 a l’intérêt d’ouvrir la possibilité d’action de groupes.
Le chapitre 5 crée les conditions d’un accès ouvert aux données de santé.
Le chapitre 6 concerne le dialogue social, avec un article 47 concernant la représentativité des organisations syndicales de médecins hospitaliers et un article 48 l’organisation médicale à l’hôpital et dans les établissements d’hospitalisations privés. Le dialogue social avec le personnel non médical est ignoré, et l’amélioration du dialogue social avec les médecins bien en dessous des aspirations démocratiques !
Le titre V concerne des mesures de simplification et d’harmonisation.
Les articles 49 à 53 autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance sur des sujets aussi variés et inquiétants que :
- définir le régime des mises à disposition des agents des établissements publics de santé membres d’un groupement de coopération sanitaire ;
- aménager la procédure de fusion entre les établissements publics de santé ;
- modifier l’article L. 4351-1 du code de la santé publique pour préciser et simplifier les relations du manipulateur d’électroradiologie médicale avec les différents professionnels de santé ;
Il ne s’agit là que de quelques exemples d’une longue liste !
Concernant la psychiatrie, la logique néolibérale de la loi HPST continue réellement à s’appliquer, afin de faire correspondre qualité des soins et bonne gestion d’entreprise rentable au sein même du service public, sous le pilotage des ARS. C’est le caractère fondamental du secteur de psychiatrie public et généraliste qui est mis à mort, le secteur restant une mission parmi d’autres et conditionnelle. Ce texte est de ce point de vue exemplaire car il n’est qu’une série de mise sous conditions : l’agrément d’un schéma de soin accepté par l’ARS, la décision des établissements d’en faire ou pas, et le parcours de santé du patient qui devient une « bonne » gestion de qualité et de sécurité de « bonnes pratiques », y compris de sa part. La psychiatrie sécuritaire de la loi du 5 juillet 2011 reste donc au centre des préoccupations de nos gouvernants. La psychiatrie ne devient plus qu’une activité de santé spécialisée, pas une action clinique généraliste avec le sujet en souffrance et son environnement
Au total, c’est un projet de loi dans la continuité des logiques des lois des gouvernements de droite, dans un carcan financier très contraint et remettant en cause la solidarité de la protection sociale, renvoyant des aspects fondamentaux aux décrets futurs et donnant la possibilité au gouvernement de légiférer par ordonnance... Un vrai et grand recul démocratique..
Article paru dans la lettre du collectif de novembre 2014.
Disponible icien PDF, avec les dessins de Faujour