Le harcèlement au travail n’est pas forcément un mécanisme pervers : la violence est souvent décrite comme immédiate, sans phase de séduction.
Il peut obéir à une stratégie, parfois même être réalisé sur ordre. Au-delà du harcèlement individuel(et souvent gratuit), le harcèlement institutionnel peut participer d’une stratégie de gestion de l’ensemble du personnel vers la désorganisation du lien social.
Le harcèlement stratégique, organisé à l’encontre d’un salarié peut viser à détourner les procédures légales de licenciement. Enfin, le harcèlement transversal ou horizontal peut permettre de transférer une souffrance collective, par exemple dans une situation de réorganisation de l’entreprise ou de compression d’effectifs, sur un bouc émissaire.
Le secteur de la santé,en particulier hospitalier, singulièrement, n’est pas plus protégé que les autres entreprises contre les techniques de harcèlement moral. Le pouvoir médical ou administratif peut facilement devenir un instrument de soumission ou de persécution. Comme les autres personnels, les médecins peuvent en être victimes, et commencent désormais à relater des faits parlants.
La tentation de transformation de l’hôpital public en entreprise soumise uniquement à des critères de rentabilité, d’efficience, d’activité, multiplie les possibilités d’atteinte à la dignité : propos humiliants ou offensants remarques itératives sur la qualité du travail, sur l’activité générée, utilisation d’erreurs mineures, non-reconnaissance de la qualité des tâches accomplies, remarques sur l’utilisation du temps de travail, prescription d’objectifs démesurés, pratiques d’isolement du sujet vis-à-vis de sa hiérarchie puis de son équipe, mise sous surveillance etc. Le silence des témoins ( générateur de culpabilité ) est un important facteur de renforcement.
Dans ces conditions, il est facile de comprendre la tentation,de la part d’une hiérarchie médicale ou d’une direction hospitalière d’utiliser parfois ces méthodes pour faire rentrer dans le rang des gêneurs potentiels, ressentis comme des obstacles aux restructurations en cours, aux réorganisations d’hôpitaux, de pôles et de services. Le nouveau statut de Praticien Hospitalier,qui met praticiens ( et les directeurs ) sous la coupe du Centre National Gestion ( CNG ), aliène leur indépendance, donne évidemment des outils supplémentaires à des gestionnaires parfois mal intentionnés.
Il ne s’agit pas ici de simple théorie : des exemples nous parviennent régulièrement de l’utilisation de harcèlement au travail, dans le but évident de se débarrasser de praticiens indésirables. La CGT a eu l’occasion d’intervenir pour soutenir et aider des collègues, avec des succès parfois exemplaires.
Comme le souligne Christophe Dejours ( psychiatre, directeur
du laboratoire de psychologie du travail et de l’action au CNAM ), l’affaiblissement des solidarités collectives facilite l’accomplissement du processus de harcèlement. Il est donc essentiel, si nous repérons ou sommes victimes d’une telle procédure, d’en informer notre collectif de travail (équipe,service…),et de rechercher auprès des organisations syndicales un soutien actif ; le Collectif Médecins de la CGT est évidemment prêt à prendre toute sa place à vos côtés.
Thierry DOBLER ( Hôpital des Murets, La Queue-en-Brie)
Christian GUY-COICHARD ( Hôpital Saint-Antoine,Paris)
Quelques références :
Michel Debout et Christian Larose ; Violences au travail-Agressions,harcèlements, plans sociaux. Ed : de l’Atelier ( 2003 ).
Christophe Dejours ; Souffrance en France : la banalisation de l’injustice sociale – Points Essais.
DominiqueLhuillier ; Placardisés, les exclus dans l’entreprise. Seuil.
Marie-France Hirigoyen ; Malaise dans le travail, harcèlement moral : démêler le vrai du faux. Éditions La Découverte & Syros.
(Article paru dans InfoMedecin 4_2011)