Le Collectif des EGATS s’associe au deuil national concernant les attentats du 13 novembre 2015.
Depuis ce soir funeste, nous sommes en deuil ; nous sommes atteints dans notre chair, notre dignité à travers les crimes perpétrés. Nos familles pleurent des êtres chers, des vies brisées... C’est notre deuil à tous, nous qui partageons une égale humanité, au-delà d’une appartenance à une même nation ou une inégalité de notre sort.
La tristesse, la colère et l’effroi prédominent aujourd’hui, même si des élans de solidarité ont pu naître également là où se déployaient la mort et la destruction, preuve que l’entraide et la vie peuvent triompher dans les situations les plus insoutenables.
Suite au traumatisme subi, il nous faut comprendre… comprendre les motifs d’un tel passage à l’acte… actes d’une horreur absolue et insupportable.
A travers ces frappes aléatoires, nul doute que chacun d’entre nous est visé, atteintes symboliques à la liberté et la démocratie, à la laïcité et à l’altérité…
Au-delà de nos frontières, nous n’oublions pas également les évènements tragiques qui ont eu lieu en Russie… au Liban… en Belgique… au Mali… au Cameroun… ou en Tunisie tout récemment. La liste est longue et l’horreur et la terreur se répandent partout pour des faits similaires et abjects.
Mais il nous faut comprendre les motifs d’un tel message de haine et pourquoi s’engagent certains de nos enfants, de nos concitoyens dans ces mouvements qui prônent la guerre et la destruction de l’autre différent.
Nous interroger peut nous permettre de prendre de la distance avec nos émotions, même si le deuil sera long et la blessure indélébile.
Ces attaques sont représentatives de l’échec patent, d’une géopolitique basée sur la loi du plus fort, là où les enjeux économiques et le capitalisme priment sur le respect de l’individu. Elles signent également l’abandon dans nos pays industrialisés, de certains territoires où les inégalités prédominent et où une frange de la population, de la jeunesse est abandonnée, discriminée en termes d’accès aux droits, à l’emploi. Là où la précarité, l’injustice sociale entraînent du ressentiment, un repli communautariste extrême justifiant la prise d’armes et l’anéantissement d’autrui comme seul moyen de résolution à la crise.
L’état d’urgence décrété pour trois mois renvoie à une volonté gouvernementale de poursuivre les coupables de ces atrocités, mais il répond aussi aux souhaits de nos concitoyens d’être en sécurité sur le territoire, à la peur d’autres attaques potentielles. Pourtant, cette privation de libertés signe bien un recul de la démocratie but ultime visé par les terroristes qui imposent leur diktat de haine et de peur.
La déclaration de guerre de notre gouvernement et le pilonnage en Syrie vont dans le même sens à travers l’application de la loi du talion, violence ultime en réponse aux maux quand on a plus les mots… pour le dire… « S’opposer à un système, l’attaquer, c’est bien ; mais s’opposer à son auteur et l’attaquer, cela revient à s’opposer à soi-même, à devenir son propre assaillant. » (Gandhi – Autobiographie ou mes expériences de vérité).
La prévision de révision de la Constitution, les privations de liberté, les frontières rétablies : ces atteintes à nos libertés dressent des barrières et construisent notre enfermement dans la peur de l’autre, société auto-centrée qui se protège et se défend. Comment éviter les dérives dans ce contexte : risque de l’ethno-centrisme, des replis identitaires et communautaristes, risques des amalgames ? Comment éviter les dérives dans la montée des inégalités : avec le risque de la consécration des partis d’extrême droite aux élections régionales prochaines ? L’État se débarrassant de ses compétences, quel maintien de la légalité sur les territoires au regard de cette nouvelle coloration politique en terme de formation, renforçant voire développant de nouvelles discriminations… ?
Le plan gouvernemental, concernant le travail social suite aux États Généraux du Travail Social et au rapport Bourguignon, aborde la question des comportements des individus, le lien social, et le rôle des professionnels du travail social dans la construction de la cohésion sociale.
Il est cependant regrettable qu’au regard des enjeux actuels, les politiques sociales ne soient pas articulées aux politiques publiques ordinaires (politiques économiques, de l’emploi, budgétaires…), ou transversales (politique de la ville, ou d’intégration des populations immigrées par exemple). Il est regrettable que les inégalités économiques, la question de la précarité ne soient même pas évoquées. Seule la question de la transmission des valeurs républicaines est abordée pour faire évoluer les comportements, l’école, les services sociaux, et les professionnel-le-s se trouvant renforcé-e-s dans l’exercice de cette mission. Occulter les inégalités économiques, d’accès aux droits, d’éducation, sur les territoires, c’est, pour les gouvernements successifs, se dédouaner de la part de responsabilité qui revient au politique dans l’exercice de la conduite de la cité et de la poursuite de l’intérêt général.
Les inégalités prévisibles entre territoires vont se creuser grâce aux lois NOTRE et MAPTAM. Si le lien social est l’affaire de tous, l’intégration ne se décrète pas. Et la gestion actuelle du social basée sur une conception d’utilité sociale tangible et mesurable et non pas adossée à une conception de la solidarité risque de venir renforcer le sentiment d’injustice et le ressentiment chez certains d’entre nous.
La suppression actuelle du financement des services de prévention spécialisée dans le cadre des réformes territoriales et du transfert des compétences ne va pas inverser la donne dans les quartiers de relégation. De même, les jeunes majeurs ne sont pas et ne doivent pas servir de ligne d’ajustement dans des budgets départementaux.
Que dire de la casse des métiers du social, du brouillage des identités professionnelles signant l’abandon de la question de l’accompagnement et de la clinique au profit du développement de la méthodologie et d’une technicité, d’une mutualisation laissant le soin aux bénévoles ou aux professionnel-le-s les moins qualifié-e-s d’accompagner les publics vulnérables ?
Contre toute attente technocratique, il ne suffit pas de mesurer, d’évaluer, de projeter ou programmer pour créer du lien. Le renforcement du contrôle social ne construit pas les individus comme auteurs de leur parcours de vie et « l’empowerment » et la responsabilité individuelle ne produisent pas forcément de solidarité.
Il est temps de réagir et de sortir de contradictions géopolitiques basées sur des enjeux financiers, il est temps de réagir et de repenser la société dans sa dimension sociale et non en vertu d’une logique marchande. L’altérité est possible dans les sociétés où la reconnaissance pleine et entière de l’individu dans les faits (paroles et actes) permet l’ouverture sur l’autre… Un autre différent dans sa culture, son expression ou son comportement, et c’est la rencontre qui permet à chacun de s’ancrer dans la tolérance et de construire une culture commune et partagée du vivre ensemble, respectueuse de soi et de l’autre : semblable et différent.
Le 04.12.2015. ■