Réduire la prise en charge des mineurs délinquants à la question simpliste pour ou contre les Centres Éducatifs Fermés (CEF) est l’archétype du faux débat, qui n’apportera que de mauvaises réponses.
La CGT qui est la seule force syndicale présente dans les CEF publics et privés, souhaite aborder cette question autrement.
Nous ne sommes pas opposés, par principe, aux centres éducatifs fermés, s’ils représentent une alternative réelle à l’incarcération, et non une réponse systématique. Ainsi, si demain l’Union Européenne interdisait la détention provisoire des mineurs en matière correctionnelle, les CEF nous sembleraient une des réponses possibles.
Non, les CEF ne sont pas la panacée et la réponse unique à des situations de mineurs très différentes. Le raccourci « remise en cause des CEF = laxisme » est imbécile. Faire de la multiplication des CEF
l’alpha et l’oméga d’une politique pénale est aussi efficace que de croire que la ligne Maginot protégerait le France en 1939.
Pour la CGT, les CEF qui sont des lieux privatifs de liberté, devraient relever du seul service public. L’une des conséquences du transfert des missions régaliennes à des services associatifs privés est que l’obligation de remplir, pour obtenir des moyens financiers, conduit à
prendre en charge, dans ce type de structures, des jeunes qui ne devraient pas en relever, parce que le prix d’une journée est de plus de 600 euros et qu’il faut boucler le budget... Cette dérive est bien
connue aux USA, où les prisons privées se battent pour obtenir la détention ou le maintien en détention, afin de garantir les profits de quelques grands groupes, dont Sodexho qui lorgne désormais sur le
« marché » français. Nous pourrions même nous interroger sur la fascination de la droite française pour ce modèle de plus en plus critiqué pour son coût et son inefficacité...
Toutes les études, depuis 50 ans, montrent que le taux de récidive est plus élevé après une détention qu’après un placement en établissement spécialisé et plus élevé après un placement qu’après un suivi en milieu ouvert. Nous ajoutons que le taux de récidive est plus important après un placement en CEF qu’après une placement classique (et tout cela s’explique...). Une politique pénale intelligente
consiste donc à éviter l’incarcération et la rétention autant que possible et à graduer des réponses dans lesquelles la prise en charge
éducative doit être la priorité.
La CGT a donc défendu l’idée que la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) devait disposer d’un panel de réponses éducatives, adaptées à la personnalité des jeunes et à la gravité des actes commis.A ce propos, nous ne pouvons que regretter la grande pauvreté de la pédopsychiatrie française qui a pour conséquence le transfert de personnes malades vers les prisons et les Centres
Éducatifs Fermés, puisque la dernière idée de la PJJ était de les labelliser « psychiatriques ». Pourtant, ils ne sont pas équipés pour prendre en charge des pathologies pour lesquels les personnels
ne sont pas formés : un éducateur n’est pas infirmier !
Pour l’heure, et le taux de remplissage le confirme, le nombre de places en CEF est largement suffisant, surtout si l’on respecte le cadre du placement en CEF, c’est à dire pour des mineurs délinquants multirécidivistes ayant commis des actes graves.La dérive vient du fait que certains politiques (de tous bords) agitent les CEF comme un talisman. Nous répéterons qu’une société sans délinquant n’existe pas, pas plus que le risque zéro en médecine. Il serait temps d’instaurer une réelle politique pénale et non plus de la magie à grands coups de réponses médiatiques : les tours de passe-passe n’amusent plus personne !Nous sommes donc en accord avec la Garde des
Sceaux lorsqu’elle dit qu’il faut d’abord évaluer le dispositif avant de continuer la course folle.
Comme le dit et l’écrit le Contrôleur Général des Lieux Privatifs de Liberté, le bilan des CEF est contrasté et leur fonctionnement fragile. Rappelons que c’est la CGT qui avait insisté pour que les
CEF soient placés sous son contrôle et nous avions bien raison.
Son travail a évité bien des dérives, et nous ne pouvons que nous en féliciter. Nous n’avons jamais eu de réponse politique aux critiques émises par M.Delarue, pas plus que nous n’en avons lorsque nous questionnons la violence institutionnelle des CEF : nous n’avons aucune
donnée sur le nombre d’accidents de travail, d’avis médicaux demandant un changement d’affectation, ou le pourcentage d’arrêt de travail qui sont d’excellents indicateurs de la difficulté de travailler dans ces établissements.
Nous aussi, nous constatons des dérives dans le fonctionnement de ces centres : la « pédagogie de la baffe » reste encore trop présente, parce que le personnel formé manque, que le travail est épuisant et que l’usure professionnelle (burn-out) est forte.
Selon nos retours, la rotation des personnels éducatifs est si importante, les équipes se renouvellent si vite, que la formation devrait être permanente pour donner aux nouveaux professionnels les bases atténuant cette usure.
Nous constatons aussi que des centres peuvent fonctionner quelques mois sans accident notables et exploser en quelques jours, avec violences et dégradations importantes amenant à leur suspension d’activité. En ce sens, nous pensons que l’accroissement du nombre de mineurs porté de 10 à 12, pour le même nombre de personnels, a
déstabilisé beaucoup d’équipes. Ce choix n’est que comptable : pour baisser les coûts, il « suffit » d’augmenter la capacité... Il a surtout augmenté la pression et l’explosivité de ce mélange instable qu’est un CEF...
La CGT est donc favorable a un véritable bilan partagé du fonctionnement des CEF.Dans ce cadre, nous affirmons que ce type d’alternative à la prison peut avoir un coût, à court terme, plus élevé
qu’un prix de journée en détention : Qu’il y ait 3 ou 12 jeunes dans un hébergement, celui-ci reste ouvert 24h sur 24 et 365 jours par an : les
« charges fixes » doivent donc être calculées sur ces bases, cela représente un temps éducatif incompressible. Ajoutons au tableau qu’il est impossible (voire illégal) de n’avoir qu’un seul professionnel avec un
groupe... Nous, nous demandons simplement que le calcul des moyens soit établi sur cette base, en repartant de la réalité.
Nous, nous savons aussi, que le remplissage d’un établissement dépend du choix des magistrats, mais aussi de l’activité des forces de l’ordre. Il n’est donc pas anormal qu’un hébergement voit son taux de
remplissage fluctuer en fonction de l’activité et des choix de ceux qui interviennent en amont dans la chaîne pénale.
Il serait donc temps d’arrêter le populisme sécuritaire, surtout s’il ne sert à rien.
Nous voudrions qu’on nous explique pourquoi, en l’état actuel du Droit, il serait utile de doubler le nombre de places en CEF autrement que par pure démagogie politicienne ?
Nous voudrions savoir en quoi un CEF est plus « contenant » qu’un hébergement classique de la PJJ (appelé Établissement de Placement Éducatif), surtout avec des mômes placés sous contrôle judiciaire avec obligation de résidence au foyer ? Ce qu’il faut, c’est redire que tous les professionnels, qui exercent dans toutes les formes d’hébergement
à la PJJ et dans le secteur habilité, sont capables de prendre en charge tous les jeunes qu’on nous confie... Il faut que les parquets et les magistrats choisissent le placement, non pas en fonction du sigle ou du « qu’en dira-t-on », mais, en fonction de l’intérêt pour le jeune et la société.
Nous avons surtout l’impression que, pour l’heure, on se gargarise de mots : Non, la France ne sera pas à feu et à sang parce que quelques CEF n’auront pas ouverts ! Non, le CEF n’est pas la réponse magique à la délinquance des mineurs, pas plus que la prison...
A la CGT, nous pensons que l’urgence c’est une véritable politique de la jeunesse qui ne peut se réduire à quelques agitations médiatiques sur la délinquance des jeunes.
L’urgence pour tous les jeunes de ce pays c’est l’accès à la formation, à l’emploi, à la santé, au logement et à la culture...
L’urgence c’est de considérer qu’il n’y a pas assez de jeunes dans ce pays, pour en laisser des milliers tous les ans aux marges de notre société...C’est donc revenir à l’esprit de l’ordonnance de 1945, issu du programme du Conseil National de la Résistance. Cette priorité à l’éducation, n’est pas plus (ou moins) archaïque que la déclaration des Droits de l’Homme, qui, elle date du XVIIIe siècle.