Refusons les discours et les politiques sécuritaires.
La Fédération CGT Santé Action Sociale dénonce ceux qui entretiennent la haine et la division entre les personnes en stigmatisant des communautés, des cultures et des religions. La peur (légitime) ressentie en de telles circonstances ne doit être récupérée par personne, elle ne doit générer aucun amalgame, ni faire le lit de l’hystérie sécuritaire : rien de liberticide ne doit germer sur le terreau de ces morts, de ce drame. Après cet élan, très vite, des tentatives de compréhension des parcours de vie des trois jeunes auteurs de ces attentats ont envahi les médias, avec une interpellation implicite mais réelle, des lieux institutionnels qu’ils avaient traversé, des travailleurs sociaux rencontrés.
Les injonctions sécuritaires dans l’accompagnement socio-éducatif sont inadmissibles.
Par des raccourcis dangereux, ces questionnements interrogent le rôle que devraient tenir dans les quartiers d’habitat social, les différents travailleurs sociaux dont les éducateurs de la prévention spécialisée. L’utilité de ces professionnels revient dans les débats, disqualifiant la pertinence des réponses éducatives, au regard de l’augmentation de faits de radicalisation. Cette tentative de stigmatisation n’est–elle pas le fait de ceux qui diminuent ou suppriment les moyens ? Pourtant, par sa capacité à être au plus près des publics qu’elle accompagne et qui lui font confiance, la prévention spécialisée est un maillon essentiel des politiques d’accompagnement social et éducatif en faveur de la jeunesse. Elle produit ses effets, pas assez visibles pour ses détracteurs mais bien réels pour les jeunes en risque de marginalisation. Les espaces de paroles qu’elle favorise confirment l’extrême sensibilité de la situation et le défi que doit maintenant relever la société tout entière.
La loi votée en 2007 sur la prévention de la délinquance, les injonctions sécuritaires de nombreux maires et élus, tentent d’instrumentaliser les éducateurs de rue. Ceux-ci sont sollicités pour s’impliquer dans les dispositifs municipaux et les « fiches action » des contrats locaux de sécurité, alors que depuis plus de 40 ans, nous observons la faillite de la politique de la ville, des plans d’action pour l’emploi, l’abandon progressif des moyens éducatifs...
Pour de nombreux jeunes, l’échec scolaire, l’absence de perspectives, le chômage, la désaffiliation, l’ennui, la haine contre le système sont, parmi d’autres, des formes de leur désespérance. Ils restent souvent « enfermés » dans leurs quartiers, soumis aux logiques de fonctionnement de leur groupe de pairs, sensibles aux arguments de ceux qui leur font miroiter une « autre vie idéale ».
Notre Fédération refuse et dénonce les injonctions faites aux éducateurs de prévention spécialisée de participer aux politiques sécuritaires en les assignant à une plus grande surveillance des individus dits « à risques », qui pourraient être engagés dans le radicalisme ou le terrorisme. Ce n’est pas leur vocation, ni leur rôle. Ils doivent pouvoir se consacrer à leur mission d’aide, de protection et de conseil dans des relations de confiance et de proximité. Pour ce faire, leurs services doivent être dotés des moyens nécessaires. Acteurs uniques sur un territoire, présents au quotidien dans les lieux de vie des jeunes, les éducateurs de rue sont souvent les seuls en capacité d’entrer en relation avec eux, d’instaurer cette relation de confiance, source potentielle de construction d’un projet de vie libérateur.
Dénonçons l’absence de politiques publiques qui reconnaissent le travail social et l’utilité des travailleurs sociaux.
Nous constatons le désengagement progressif des tutelles et la diminution du nombre de postes éducatifs. Ainsi, depuis 2012, 17 départements ont vu leurs budgets alloués à la prévention spécialisée diminués, voire supprimés ; c’est le cas notamment de la Seine Maritime (- 74 postes), de l’Eure et Loire, du Bas-Rhin et des Alpes-Maritimes (baisse de 50 % des budgets), de la Mayenne, de l’Yonne et de la Basse-Normandie (baisse d’effectifs), du Loiret (disparition totale de la prévention spécialisée !)...
La suppression du Conseil Technique de la Prévention Spécialisée (CTPS), instance pluri-acteurs, pour des raisons juridiques évoquées par l’ADF (Association des Départements de France) entérine de fait, la suppression de l’Arrêté de 1972 qui donnait un cadre clair à l’action des équipes éducatives. Les fondements même de cette intervention sont ainsi balayés, signifiant le caractère de dépenses « non obligatoires » de l’intervention éducative de la prévention spécialisée. Quel message aux professionnels ! Quelle opportunité pour les politiques !
Les choix de société qui accélèrent les processus de relégation, de désaffiliation, qui renvoient familles et jeunes vers la précarité, abandonnent « l’humain », alors que la situation sociale dégradée exigerait plus de moyens pour l’éducation, la culture, l’insertion, le travail social en général.
L’exclusion et de l’injustice sociale, sont de véritables violences vis-à-vis des personnes vulnérables.
Le traumatisme national autour de Charlie nous ordonne pourtant d’être à la hauteur de l’enjeu.
Il est donc primordial d’envoyer un signal fort en direction des jeunes des quartiers prioritaires et de refuser toute stigmatisation. Si nous voulons que tous puissent partager les valeurs de la République, tous les acteurs politiques, syndicaux, sociaux, éducatifs, culturels, associatifs... doivent se mettre autour de la table afin de construire ensemble un sens commun et en fournir tous les moyens. Une société inclusive et laïque, basée sur le respect des droits, de la diversité culturelle, ethnique et religieuse est fondamentale…
La Fédération santé action sociale CGT :
- exige le retour aux textes fondateurs de la prévention spécialisée et d’une instance interministérielle avec la présence des organisations syndicales, comme l’était le CTPS,
- appelle tous les professionnels à se mobiliser pour réaffirmer des valeurs de leur métier, à exiger la confiance et la liberté d’agir de façon éducative auprès des jeunes et de leur famille, dans le respect de leur dignité humaine,
- invite les salarié-e-s à la rejoindre pour défendre ensemble les moyens nécessaires à leur mise en œuvre au service des populations.